chez Philippe Rey Editions une nouveauté de mars
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Boubacar Boris DIOP
Kaveena
Format : 14,5 x 22 cm
280 pages
Prix de vente TTC : 19 €
ISBN : 2-84876-051-6
Parution : 2 mars 2006
« Je ne sais pas ce qu'il a dit avant de mourir.
En me voyant entrer, il a remué les lèvres. »
Ainsi débute Kaveena, septième roman de
Boubacar Boris Diop. Le narrateur, le colonel Asante Kroma,
chef de la police politique, vient de découvrir dans un bunker
le cadavre du président en fuite, N’Zo Nikiema. Se sachant lui-même
en danger, il y reste caché et décide de dire tout ce qu'il sait
avant de mourir.
Les lettres de l'ex-tyran qu’il y découvre serviront de fil
conducteur à Kroma. Toutes sont adressées à une seule femme, Mumbi,
artiste-peintre et prostituée.
Au fil des pages, la figure de Pierre Castaneda domine le récit.
Industriel riche et influent, ce Français avait, dès l'époque coloniale,
préparé le défunt à son futur rôle de Père de la Nation. Mais s'il
l'a aidé à se battre contre le colonialisme, c'était pour en faire
un fantoche et préserver, l'indépendance venue, les intérêts de sa
compagnie et ceux de l'ex-métropole. Massacres, tortures et pillages :
les deux amis n'ont jamais reculé devant rien pour parvenir à leurs
fins. Ils ont de même éliminé tous les leaders qui – à l'instar de
Um Nyobé, Lumumba ou Cabral – avaient une autre vision de l'avenir
du continent.
Nikiema n'éprouve aucun remords au souvenir de ces crimes.
Il en est pourtant un, un seul, qu'il s'obstine à nier. C'est le
meurtre rituel de Kaveena, une enfant de six ans, enlevée, violée
et découpée en petits morceaux. Tout un pays en état de choc veut
savoir qui du président ou de son mentor est l'assassin de Kaveena.
Aucun des deux hommes au passé criminel pourtant chargé ne veut avoir
sur la conscience cette tache de sang-là. Castaneda, héritier des
Lumières, n'imagine pas que son nom puisse être mêlé à une barbarie
si « typiquement africaine. » Pour le fugitif, l'innocence est
surtout un enjeu personnel : Kaveena est la fille de son amante
secrète, Mumbi Awele.
En dépit de la complexité de son schéma narratif, Kaveena reste
d'une apaisante limpidité.
Est-ce dû au choix de faire passer aux aveux un policier de l'ombre,
coupable lui-même de crimes odieux ? Mais l'homme est bien plus
habitué à dissimuler les faits qu'à les raconter.Il hésite sans arrêt
entre le désir de dire et la tentation de mentir ; et ce désarroi,
simulé ou sincère, finit par laisser une empreinte durable sur le
récit. Le texte naît dans la douleur, d'entre les tremblements de
voix d'un conteur d'autant plus émouvant qu'il ne sait guère où il
va. Glissant du chaos de l'Histoire aux tourments intérieurs des
êtres, il réussit cependant à nous faire partager peu à peu la
colère et la souffrance inouïes d'une mère. Surgie comme de l'autre
rive du néant, pute mais profondément intègre, Mumbi prend peu à peu
une dimension quasi mythique. Elle symbolise ainsi, presque malgré
elle, une nation dépouillée et humiliée par le même serpent à deux
têtes : des politiciens - locaux et étrangers - à la fois violents
et aux appétits insensés.
L'auteur
Le Sénégalais Boubacar Boris Diop est un des écrivains majeurs de
l’Afrique contemporaine. Ses romans, dont Le Cavalier et son ombre
et Murambi, le livre des ossements (Stock, 1997 et 2000), questionnent
sans relâche le continent noir. Il vient de contribuer avec un texte
très remarqué à l'ouvrage Négrophobie (Les Arènes, 2005).