Voix d'ébène

[lesunset]

Voix d’ébène

Je suis
Je suis l’écho du malheur, j’embrasse le pas des sans-abris,
Des déshérités du bien-être, des travailleurs à soixante-dix sous.
Je ferme la marche des régiments absurdes de l’oppression,
Des cohortes cinglées de l’occupation profanatrice.
Je suis la terreur des creusets, la peste qui ravage la terre des sang-mêlé,
Le silo des synergies tératogènes, l’excroissance amorphe du gouffre
Des origines, la foudre avide de magma de la nuit des sosies éternels,
La voix dégoulinant aux commissures des égouts pourléchés
De la Mascarogne en putréfaction.

Je ne suis plus
Je ne suis plus la traîtrise érigée en balustrade au portique
Des politiques.
Je ne suis plus Hobbes vendant son Léviathan
Aux bergers idolâtres du Champs-De-Mars ravagé
Par les oiseaux migrateurs.
Je ne suis plus passion, pétulance, bonhomie.
Je ne suis plus homme ni femme ni jeune ni enfant.

Je suis zombi. Zombi bannmannan précipité aux portes
De la nuit des nécessiteux par les affres du néant des Tomas.
J’excelle dans la pratique religieuse du semblant,
Du faux semblant, du faire semblant.
Mes rêves sont tous une tentative désespérée de capturer
Au lasso les bribes déchiquetées en lambeaux sonores
Du premier ressac diurne de la Déesse-Saline au large
Des côtes flottantes de mon île invertébrée. Mon ras-le bol
En éruption exhume et flagelle mes pères insensés, ébranle
Le socle des étendards figés dans l’inertie de millions
De cerveaux zombifiés sur la terre des Taïnos, des Dokos, des Aradas…

Je crache mon dédain à la face des conjurés des bas fonds,
Des chasseurs d’opportunités, des forgerons d’espoir-pacotille,
Des racoleurs d’urnes repeintes à temps au ton des voix d’ébène,
Des museleurs de jeunes fous, des prêcheurs de résignation.

J’ai perdu toute cohérence au carrefour des ombres disséquées.
Je renie cette caricature d’humanité. Je l’emmerde.
Désormais je cesse d’être pour devenir vague, roc,
Ecueil et phare à la fois !